Le petit chaperon rouge

 

 

 

 

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Le Petit Chaperon Rouge

Après la lecture de La psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim

 

 

Maquillée, vêtue d’une de ses plus belles robes, la mère du Petit Chaperon Rouge se pencha vers elle et lui tendit un panier. L’enfant recula sous l’agression d’une bouffée de parfum épicé.

-          Tiens, porte cette galette à ta grand-mère. Et ne t’éloigne pas du chemin.

La petite acquiesça sans un mot et saisit le panier avant de se diriger vers l’entrée. Comme elle revêtait son chaperon rouge, le Chasseur poussa la porte et entra. Il s’arrêta en l’apercevant et s’écarta pour la laisser sortir. Elle sentit son regard sur elle tandis qu’elle passait près de lui et frissonna. Il ne put s’empêcher de laisser sa main glisser dans ses cheveux en murmurant :

-          Prends garde au loup, petite.

Elle se répondit pas et s’engagea sur le chemin menant à la forêt d’un pas vif et conquérant, du haut de ses 7 ans, sans se retourner. La voix de sa mère lui parvint, vaguement réprobatrice :

-          Laisse-là donc… Et viens… ajouta-t-elle, caressante.

Le déclic de la porte se refermant fit soupirer de soulagement le Petit Chaperon Rouge et elle inspira à plein poumon l’air de la forêt, ralentissant son allure. La pluie s’était arrêtée quelques instants plus tôt seulement et une odeur d’humus et de fleurs fraîches lui parvint. Sur une branche au-dessus d’elle, un oiseau lança quelques trilles et elle leva la tête. Là-haut, les branches des grands arbres formaient comme une voûte protectrice, les feuilles humides s’ébrouant légèrement sous les doigts légers du vent. Une goutte lui tomba sur le nez et elle eut un sourire heureux. En gambadant gaiement, elle s’enfonça dans la forêt avec insouciance. Et si elle ramassait quelques fraises pour sa grand-mère ? Elle serait sûrement contente d’en manger avec sa galette.

Un craquement sec retentit derrière elle et le Petit Chaperon Rouge se figea, le cœur battant, les sens aux aguets. Quelque chose approchait. Une présence qui avait fait taire les oiseaux dans les branches et qui faisait battre son petit cœur plus vite que de coutume. Lentement, elle se retourna et se trouva nez à nez avec deux yeux dorés qui l’observaient sans ciller, une gueule entrouverte sur des canines acérées et une langue rouge pendant à demi.

-          Ah c’est toi, Loup ! Tu m’as fait peur ! s’exclama-t-elle.

-          Bonjour Petit Chaperon Rouge, salua l’animal. Te rends-tu chez ta grand-mère ?

-          Oui. Ma mère m’envoie lui porter une galette. Je voulais aussi lui cueillir quelques fraises.

-          J’en ai vu de bien rouges un peu plus loin sur le chemin, veux-tu que je te montre ? proposa le Loup.

-          Merci, je veux bien ! accepta la fillette avec enthousiasme.

-          Suis-moi alors.

Le Petit Chaperon Rouge posa sa petite main sur le dos du Loup qui lui arrivait presque à l’épaule, enfouissant ses doigts dans la fourrure touffue, et ils marchèrent dans le sous-bois en devisant gaiement. L’enfant fit rire l’animal en lui racontant les dernières aventures de sa poupée qui avait joué un tour à un vilain chasseur et celui-ci lui parla en retour des bêtises des renardeaux qui vivaient près de chez lui. Ils avancèrent ainsi un moment, marchant du même pas, puis le Loup s’arrêta.

-          C’est ici, regarde.

Plusieurs buissons de fraises des bois arboraient leurs petits fruits bien mûrs et le Petit Chaperon Rouge se pencha pour en ramasser, en mangeant quelques-unes au passage. Quand son panier fut bien rempli, elle se releva.

-          Tu as les doigts tout collants, petite gourmande, sourit le Loup.

L’enfant lui rendit son sourire et présenta ses mains au Loup qui les lécha soigneusement. Une goutte perça la voûte protectrice des arbres et tomba sur la joue de la fillette, y roulant comme une larme jusqu’à la commissure des lèvres, bientôt suivie par une autre, et l’averse ainsi annoncée ne tarda pas à se déclarer franchement. Le Petit Chaperon Rouge éternua.

-          Allons dans mon terrier, proposa le Loup, nous n’en sommes pas loin.

La fillette acquiesça et ils coururent tout deux se mettre à l’abri.

En fait de terrier, il s’agissait plutôt des premières galeries d’une mine abandonnée. Quelques pierres précieuses y jetaient encore de lumineux éclats, donnant à l’endroit quelque chose de magique. On racontait que, dans le temps, sept nains avaient travaillé là, avant de partir dans un lointain royaume à la suite d’une princesse. Le Petit Chaperon Rouge éternua à nouveau.

-          Je suis toute mouillée ! s’exclama-t-elle.

Posant son panier à terre, elle retira son chaperon rouge qu’elle étendit bien à plat sur le sol, puis son chemisier et sa jupe, jusqu’à se retrouver nue. Elle s’allongea ensuite sur le tissu rouge, faisant signe au Loup de la rejoindre. Celui-ci s’ébroua pour chasser l’eau de sa fourrure et vint s’allonger auprès d’elle. La fillette glissa ses bras menus autour de l’encolure puissante de l’animal et enfouit son visage dans sa fourrure. Il sentait bon comme la forêt.

-          Tu sais, je n’aime pas quand le Chasseur vient à la maison. Maman semble toujours en colère contre moi, chuchota-t-elle.

Le Loup lécha doucement son visage pour la réconforter. Sa langue était chaude et un peu râpeuse. Le Petit Chaperon Rouge caressa sa fourrure drue en retour, lissant les poils gris, et l’animal descendit dans son cou, reniflant et léchant avec tendresse la peau douce et fragile, mordillant un peu les épaules.

-          Ça chatouille, rit le Petit Chaperon Rouge quand la langue de l’animal se promena sur son ventre.

-          Tu n’aimes pas ?

-          Si… C’est agréable…

Des vagues de chaleur parcouraient le petit corps de la fillette, détendant tous ses muscles et chassant ses soucis informes d’enfant pour ne laisser qu’un monde de sensations délicieuses. Comme si une douce lumière s’était répandue sur chaque parcelle de sa peau. Elle gémit sans pudeur quand le Loup glissa sa langue entre ses jambes et celui-ci, encouragé, approfondit ses caresses. Il aimait son goût d’enfant, si particulier, léger et un peu mielleux. Le Petit Chaperon Rouge se tendit soudain avec un gémissement plus fort, s’accrochant à la fourrure du Loup, avant de retomber sur le tissu qui recouvrait le sol avec un soupir de satisfaction. L’animal vint s’allonger contre elle et elle se blottit dans sa chaleur en fermant les yeux.

 

Le Loup poussa doucement son épaule de son museau.

-          Petit Chaperon Rouge, appela-t-il. Réveille-toi, il ne pleut plus.

La fillette s’étira et s’assit en se frottant les yeux. Des rayons de soleil pénétraient dans l’entrée de la galerie, venant allumer des reflets dorés dans la fourrure et les yeux de l’animal.

-          Oh ! se souvint l’enfant. La galette et les fraises ! Je n’aurai jamais le temps de les porter à grand-mère.

-          Ne t’inquiète pas, je vais t’y emmener, la rassura le Loup en lui donnant un coup de museau sur la joue.

-          Merci ! le remercia-t-elle d’un sourire.

Elle enfila rapidement ses vêtements à présent secs et ils sortirent du terrier. Le Petit Chaperon Rouge enfourcha le Loup et, calant son panier contre elle, elle s’accrocha fermement aux poils de sa monture.

-          Tu es prête ?

-          Allons-y !

Le Loup s’élança au petit trop, puis accéléra l’allure à la demande de la fillette jusqu’à courir au maximum de sa vitesse. Le Petit Chaperon Rouge, ravie, éclata de rire en sentant le vent rabattre sa capuche en arrière tandis que les muscles puissants du Loup roulaient sous la fourrure, entre ses jambes. La forêt défilait à toute vitesse autour d’eux, masse informe de feuilles et d’écorces, mélange brouillé de verts et de bruns. Ils arrivèrent à la maison de la grand-mère bien trop vite au gré du Petit Chaperon Rouge qui descendit à contrecœur du dos de l’animal.

-          Tu reviens me chercher ? demanda-t-elle.

Le Loup ne répondit pas immédiatement, la tête levée et humant le vent d’un air concentré.

-          Je sens des chasseurs…

Effrayée, la fillette poussa le Loup vers la forêt.

-          Va-t-en, va-t-en ! Je rentrerai toute seule.

Après un dernier coup de langue sur les mains de l’enfant en guise d’au revoir, le Loup tourna les talons et s’enfonça dans le sous-bois. Le Petit Chaperon Rouge le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse puis se décida à frapper à la porte.

-          Qui est-ce ? demanda une voix grêle à l’intérieur.

-          C’est moi, grand-mère !

-          Tourne la bobinette et la chevillette chèrera.

 

La nuit surprit le Petit Chaperon Rouge sur le chemin du retour et elle pressa le pas, un peu inquiète. Le Loup veillait sans doute sur elle non loin d’ici, même s’il ne s’était pas montré à cause de l’odeur des chasseurs, mais elle ne se sentait pas rassurée pour autant. Une lumière apparut au loin, se balançant comme une lanterne flottant sur les vagues. Quelqu’un approchait. La fillette hésita, se demandant s’il valait mieux aller au-devant de l’inconnu ou se cacher. Sa mère lui avait toujours dit de ne pas s’écarter du chemin… Quand elle reconnut le Chasseur, il était trop tard pour qu’elle change d’avis.

-          Te voilà enfin, Petit Chaperon Rouge ! Ta mère s’inquiétait grandement.

L’enfant douta que ce fut vrai mais elle ne dit rien. Le Chasseur posa la main sur son épaule et ils avancèrent un moment en silence.

-          Tu as les mêmes cheveux dorés que ta maman sais-tu ? Soyeux et bouclés… C’est dommage de les cacher ainsi sous ce chaperon.

La fillette ne dit rien, le regard obstinément fixé devant elle.

-          En vérité, tu es bien plus jolie que ta maman, Petit Chaperon Rouge. J’espère toujours te voir quand je viens lui rendre visite…

Un pas. Un autre. Le Chasseur s’arrêta et sa main toujours posée sur l’épaule de l’enfant l’obligea à en faire autant. Il sembla au Petit Chaperon Rouge que son cœur s’était arrêté en même temps qu’eux. L’homme se penche vers elle, la surplombant de sa grande taille.

-          Eh bien, tu as perdu ta langue ? demanda-t-il en lui soulevant le menton pour l’obliger à croiser son regard, avec un sourire qu’elle trouva sinistre. Fais-moi donc entendre ta voix…

Le Chasseur arracha le chaperon rouge d’un geste brusque et la fillette recula de plusieurs pas, terrorisée. Il s’avança lentement vers elle, comme le fauve vers la proie qu’il sait à sa merci, et elle hurla :

-          Loup ! Au secours !

Une forme noire bondit du sous-bois, comme une ombre vomie par la forêt, et renversa le Chasseur avec un grondement grave et profond. La lanterne roula au sol et la flamme vacilla, puis s’éteignit. Un bruit de lutte entrecoupé d’imprécations et de grondements sauvages parvint à l’enfant statufiée. La bataille sembla durer des heures sans qu’elle ait aucun moyen de savoir qui avait le dessus, plongée dans un noir total. Un coup de feu claqua et le silence retomba brutalement, assourdissant. Le Petit Chaperon Rouge écarquilla les yeux dans l’obscurité.

-          Loup ? demanda-t-elle d’une petite voix tremblante.

Un halètement lui parvint, tout près.

-          Je suis sûr que tu seras bien meilleure que ta mère, souffla le Chasseur en refermant sa main sur son bras.

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